Pourquoi promouvoir une « médiation » sous tutelle ?

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Comme nous avons pu le constater, le site des avocats Belges utilise un leurre syllogistique pour distiller l’idée qu’il existerait une « médiation officielle » en Belgique. En France, le directeur d’un diplôme privé d’université argumente pour une médiation sous tutelle. Il publie son idée sur le Village de la Justice. Ici et là, l’intention est la même : faire encadrer la médiation, enrayer l’émergence de cette profession que nous avons commencé à promouvoir. Cette idée d’une médiation règlementée trouve des partisans auprès de ceux qui sont prêts à sacrifier l’exigence d’indépendance sur l’autel de la considération officielle. Certaines alliances sont l’opportunité de masquer une déconcertante incompétence dans ce domaine. Mais, les habitudes de pensée sont aussi la cause de cette quête. Pour certains professionnels du droit, la tentation est forte de projeter sur la médiation leur propre modèle.

L’auteur de l’article en question, Serge Losappio, est avocat à Paris. Comme en témoigne sa présentation sur son site professionnel, il mélange le rôle du médiateur avec les obligations déontologiques de la profession d’avocat. Il se nomme « médiateur avocat ». Il utilise aussi l’appellation de « médiateur professionnel », alors même qu’il méconnait le sens de la neutralité en mélangeant le devoir de conseil de l’avocat dans le rôle du médiateur.

N’ayant pas trouvé de quoi me convaincre de la pertinence des propos de ce directeur de diplôme universitaire, je l’invite à une réflexion qui lui permettra de progresser dans son enseignement.

La médiation, une pratique liée à des représentations des causes des conflits, de la personne, des manières d’intervenir et des compétences nécessaires pour aider
Pour bien comprendre en quoi consiste la médiation, j’invite Serge Losappio à observer les courants idéologiques qui traversent l’ambition du règlement des différends. Nul doute qu’il saura s’y repérer. En bref, il existe deux grandes orientations de la médiation :

  1. pour se conformer, avec trois courants : le courant confessionnel, le courant juridique, le courant psychologique ; l’auteur est à cheval sur l’ensemble de ces courants avec d’autant plus de conviction qu’il va jusqu’à proposer de soumettre la médiation à une tutelle culturelle (la médiation familiale y est déjà avec tous les échecs liés)
  2. la médiation pour promouvoir le libre arbitre, centrée sur la libre décision. J’ai initié cette démarche méthodologique, rationnelle, et j’ai nommé « processus structuré » ce qui était nommé « procédure… »

J’ai nommé l’approche rationnelle du démontage des différends « médiation professionnelle ». Désormais beaucoup d’acteurs de la médiation s’emparent du concept qu’ils ont tant contesté. J’observe que Serge Losappio le fait sur sa vidéo, tandis qu’il promeut une représentation de la médiation de type ouvertement juridique, psychologique, économique de la médiation. Rien à voir pourtant avec la médiation professionnelle.

La confusion n’est pas nouvelle, elle provient de l’histoire du mot médiation. Ce mot se clarifie dans un nouvel usage. Avant, et le législateur vient à s’adapter avec un peu de retard, comme d’habitude (la relation lois / moeurs), le mot « médiateur » avait le même sens que celui de « tiers », d’où les confusions de l’auteur qui n’est pas le premier à se prendre les pieds dans le tapis sémantique.

Le point de vue idéologique de l’auteur
La modélisation présentée par Serge Losappio fait partie de la mise en conformité. L’appel qu’il lance à la règlementation de la profession de médiateur témoigne de sa difficulté à sortir de son propre modèle juridique. La médiation n’est pas le droit, pas plus que le médiateur ne doit être juriste. Il n’a pas à être juge ou gendarme des bonnes moeurs, pas plus que de l’ordre public. Ce n’est pas son rôle et c’est ne rien comprendre à la médiation que d’insister sur ce point. Placer la profession de médiateur dans un contexte règlementé, c’est sonner le glas de cette profession en mouvement, bien trop récente et en quête de processus. Affirmer que la médiation est déjà clairement définie, c’est s’arrêter à sa propre satisfaction. La médiation, en tant que processus, est nouvelle. Il y a encore des choses à inventer et ce n’est certainement pas à en y allant d’un discours autoritaire qu’on avancera. Il n’existait rien encore il y a vingt ans, sur cette pratique. C’était juste un mot, une intention, comme en politique. Placer la médiation sous une tutelle de l’Etat est un non sens. Suivre l’invitation de l’auteur conduit au même résultat de la médiation familiale dont l’échec, avec ses modèles d’enseignement, fait de 1/3 de compétences (un 1/3 droit, 1/3 psycho-sociaux 1/3 communication) est celui d’une profession fondée sur l’illusion d’une compétence entière.

Cela dit, comme il apparaît très difficile pour beaucoup de médiateurs de se positionner en dehors des modèles classiques auxquels l’auteur se réfère, j’ai initié la « médiation professionnelle » et le {{[tableau officiel des médiateurs professionnels->http://cpmn.info/wp/annuaire-des-mediateurs/]}}, indépendants, neutres et impartiaux, garants d’une totale confidentialité, est désormais disponible.

Les erreurs de l’auteur
Les erreurs de Serge Losappio sont nombreuses. Je relève parmi celles-ci qu’il se trompe sur ce qu’est la médiation en affirmant : « La médiation est une procédure ». C’est une habitude de juriste que de définir la médiation de cette manière, pas une définition de médiateur. Je suis déjà intervenu lors de la rédaction de la directive européenne sur ce point et obtenu le changement de terme. Non, la médiation n’est pas une procédure. Une procédure, ce n’est certainement pas cela ; c’est une manière de procéder étape par étape, incontournable, hiérarchisée, à la façon d’une conception architecturale. Une procédure conduit à une possibilité d’appel et de cassation, pas la médiation. La médiation est un « processus structuré » – un processus, soit une manière de conduire qui permet de démêler.

L’auteur revendique la comparaison du conflit avec la notion d’architecture. Or, la comparaison du conflit avec cette représentation est inadaptée, parce que les imbrications d’un conflit ne suivent pas la logique du montage architectural. Le principe de l’architecture est l’harmonie et l’équilibre, ce qui n’est pas le cas du conflit. Le conflit, c’est le bordel, pas une architecture. Le conflit va bien avec une destructuration de la pensée et chercher à y trouver une logique ne saurait aller avec un montage / démontage sous la forme architecturale.

L’auteur se trompe encore lorsqu’il affirme que la médiation consiste dans la « gestion de conflits ». La « gestion » est une pratique d’entretien, voire de développement, c’est un non sens dans la démarche de médiation. Le fait que l’expression « gestion des conflits » soit aussi courante que le lever du soleil, n’en fait pas plus une vérité que celle du « coucher du soleil ». La médiation en matière judiciaire, est un processus qui vise la résolution des différends ; s’en tenir à une démarche gestionnaire ne change rien à ce qui existe déjà… en effet, avec le système des procédures. En médiation professionnelle (en tout cas) on ne gère pas : on accompagne la résolution.

Autre point : c’est un point de vue limitatif que de considérer qu' »{En matière de médiation enfin, ce tiers n’intervient tout simplement pas dans la recherche et la définition de la solution.} » Parce que les médiateurs professionnels interviennent précisément sur ces points.

En conclusion
Vouloir engager la médiation sur un diplôme d’Etat, c’est faire monter l’amateurisme au niveau d’une reconnaissance institutionnelle. C’est assurément engager la médiation dans la même voie d’échec que celle de la conciliation. Vouloir faire consacrer un modèle de médiation, c’est s’engager sur une pensée unique, ce qui va dans le sens contraire de la médiation qui a besoin de ses différents courants de pensée, parce que la pensée humaine est précisément plurielle. Et une profession de médiateur doit être garante de ces approches diversifiées autant que de l’altérité.

Aux médiateurs d’assurer, en toute concurrence, l’autodiscipline de leur profession. Le Code d’éthique et de déontologie des médiateurs professionnels est là pour témoigner de cette capacité à le faire.

Ce qu’il conviendrait au lieu de courir à la mise sous tutelle, ce qui est totalement incohérent par rapport à l’indépendance de la médiation, c’est que les médiateurs soient clairs sur ce qu’ils promeuvent, les idéologies qu’ils véhiculent, les religions avec lesquelles ils avancent. Ca sera le début d’une démarche clarificatrice, ce qu’on pourrait dire être l’intégrité des médiateurs.

La médiation professionnelle s’inscrit dans le courant résolument laïc, rationnel, dans la même recherche d’autonomie que La Boétie, dans la même recherche scientifique que Descartes, dans la même ligne de conception de l’humain que Diderot.

En tout cas, pas de précipitation, on a le temps d’être sur Terre.

Laissons progresser la médiation. C’est ce que les trois institutions de la médiation professionnelle (EPMN, CPMN et ViaMediation), contribuent à faire. Hier, nous étions les seuls à parler de médiation obligatoire. Aujourd’hui, la médiation obligatoire va être mise en place dans les différends conjugaux judiciarisés.

Dans la droite ligne d’une évolution culturelle et des droits citoyens, nous faisons avancer le droit de décider par soi-même, avec 2015-2025, une décennie pour le droit à la médiation. C’est un droit qui ne doit pas être encadré, c’est un droit qui doit au contraire laisser chacun libre. Pour soutenir ce projet directement lié à celui d’une société orientée vers des changements profonds dans les rapports à l’autorité, évidemment que les avocats et les médiateurs doivent travailler de concert, non pour des raisons économiques, mais d’abord pour des raisons éthiques.

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